Résumés

Gerd Bayer : « Rien à craindre : la correspondance littéraire de deux écrivains établis, Paul Auster et J. M. Coetzee »

Cette communication se penchera sur la façon dont Paul Auster et J. M. Coetzee cultivent tous deux leur image de personnage public et de figure littéraire établie, par le biais de la publication en 2013 de leurs échanges épistolaires dans le volume Here and Now: Letters 2008-2011 (Ici et maintenant : Correspondance 2008-2011). Si les chercheurs peuvent espérer trouver dans ce volume quelques traces de leur œuvre littéraire, les deux auteurs se gardent bien de révéler quoique ce soit de significatif à propos du processus de création littéraire. C’est seulement à travers le traitement de sujets annexes que le lecteur peut se faire une idée de ce qui motive leur écriture. C’est par le biais de leurs commentaires sur les sports de compétition, sur la relation entre désir athlétique et désir esthétique, sur les théories linguistiques, et sur les œuvres d’autres auteurs, que l’on peut glaner quelques informations sur leurs propres ambitions littéraires. La plupart du temps, cependant, les deux auteurs se présentent comme des professionnels : des écrivains qui participent au système littéraire, des artistes qui promeuvent des idéaux esthétiques, des penseurs qui décortiquent le sens profond et l’histoire cachée de certaines institutions sociales ou pratiques culturelles. Ils évitent, presque religieusement, de traiter le problème du processus créatif et semblent davantage enclins à partager leur expérience en tant que personnages publics au sein de l’élite littéraire. En raison de ces choix éditoriaux, les échanges épistolaires entre Auster et Coetzee se caractérisent par un ton sérieux qui va même jusqu’à contaminer la narration d’événements amusants. Vraisemblablement écrites à des fins de publication (voire même à des fins commerciales), les lettres contribuent avant tout à établir le personnage public de chaque auteur. Elles soignent l’image qu’ils souhaitent donner d’eux-mêmes, et relèvent ainsi plus du genre des mémoires que de la lettre. Here and Now permet à ses lecteurs d’assister, de façon presque voyeuriste, à la manière dont deux auteurs majeurs évoluent dans leur vie professionnelle, mais ne permet pas de pénétrer le secret de la composition à proprement dit, du développement des intrigues, et des luttes avec la forme. Ce que le volume propose au lecteur, c’est la vie de l’écrivain une fois que le succès lui a apporté un certain confort et une certaine respectabilité.



Myriam Bellehigue: "Correspondance Elizabeth Bishop-May Swenson : de la lettre au poème, du poème à la lettre."

Les deux poètes américaines Elizabeth Bishop et May Swenson ont échangé des dizaines de lettres pendant presque trente ans (1950-79), abordant très souvent la question de leur pratique poétique. Pourtant, l’une comme l’autre formulent leurs remarques critiques avec tellement de réserve et de tact que la lettre fait souvent figure d’écran. Paradoxalement, c’est dans sa poésie que Swenson s’exprime plus ouvertement sur sa relation à Bishop et sur l’œuvre de cette dernière. Je m’intéresserai plus particulièrement au poème « Dear Elizabeth (A Reply to Elizabeth Bishop in Brazil) », inspiré d’une série de lettres échangées entre 1963 et 1965, qui peut se lire tout à la fois comme texte-hommage et texte-critique. C’est aussi un texte qui opère un renversement original de la relation traditionnelle entre lettres et œuvre littéraire puisque c’est le poème qui permet de jeter un éclairage nouveau sur la correspondance.



Corinne Blanchaud : « La correspondance de Jean-Michel Reynard et André du Bouchet : formulation d’un art poétique ou affirmation d’un art de vivre poétiquement ? »

L’échange épistolaire encore inédit entre Jean-Michel Reynard et André Du Bouchet révèle vingt années de la grande proximité de deux êtres au travail, qui accompagnent mutuellement et alternativement, également éblouis, le pas de l’autre « en avant dans la matière de notre monde » (A. Du Bouchet). Réception chaleureuse des écrits reçus, commentaire fécond de pensées à l’œuvre et vérifiées par l’œuvre, notes précises sur la langue, la syntaxe, ou même simples conseils d’ordre typographique de l’aîné au jeune homme viennent s’y inscrire au même titre que le monde et les événements de la vie quotidienne qui ont présidé à sa possibilité. Ces deux plumes cursives et intenses tracent certes ensemble, au fil des ans, un art poétique, mais bien davantage encore peut-être, une position du poète dans le monde formulé comme un art de vivre poétiquement. La communication aura pour objet d’étudier comment cette correspondance construit ainsi un espace intellectuel familier qui est aussi partage d’une manière d’être au monde.




Pierre-Marc de Biasi : « La correspondance Gustave Flaubert-George Sand »

Résumé à venir



Stéphanie Dord-Crouslé : « La ‘boussole’ Bouilhet : fondements et portée d'une métaphore dans la correspondance avec Flaubert »

Qu’est-ce qu’indiquer ou garder un cap en littérature quand on est soi-même auteur et qu'on conseille un autre écrivain ? On tente de répondre à cette question en mettant l’accent sur les dernières années de la vie de Bouilhet, c'est-à-dire sur la période de rédaction de L'Éducation sentimentale, mais aussi de première conception de Bouvard et Pécuchet dans la mesure où Flaubert avait d’abord pensé développer ce scénario en lieu et place de son roman parisien.




Pierre-Jean Dufief : « Goncourt et les Daudet : l’échange épistolaire et la création littéraire du trio »

La correspondance Goncourt-Daudet (Droz, 1996) nous introduit dans l’atelier littéraire d’un trio d’écrivains qui fonctionne en étroite symbiose. Edmond de Goncourt y exerce son magistère amical ; Julia Daudet affiche une posture de fervente disciple du créateur de l’écriture artiste et du romancier des sensations délicates. Goncourt exprime son admiration pour son cadet tout en le mettant en garde contre les dangers de la trop grande facilité et de l’écriture à chaud. De son côté, Alphonse Daudet apparaît comme l’élément dynamique qui rend confiance à son aîné et l’amène à reprendre une création romanesque abandonnée depuis la mort de Jules. Les lettres adressées à la lecture de chaque nouvelle œuvre donnent une image de cette critique intime, de créateur à créateur, qu’il convient de resituer dans le plus large panorama de la critique journalistique.



Jeremy Elprin : « “I would not say it in print”: lieux de contestation dans les lettres de John Keats »

Ce travail se propose d’examiner comment John Keats, à travers sa correspondance privée, cherche à déterminer sa place « parmi les poètes anglais », tout en la contestant. De nombreux fils critiques, souvent contradictoires, à propos de ses pairs et/ou de ses rivaux (tels que Hunt, Wordsworth, Coleridge, Byron, Shelley), s’entrecroisent dans les lettres du poète. Mais c’est avant tout dans des lettres destinées aux amis et à la famille, et non pas à ces derniers (excepté dans une célèbre lettre à Shelley), que Keats se dévoile comme formidable critique littéraire. Un exemple d’acte d’appropriation et de résistance critique se trouve dans une lettre à Benjamin Bailey d’octobre 1817, où Keats s’insert, de façon oblique, dans un débat au sujet d’un poème de Wordsworth (« Gipsies »), vitupéré auparavant par William Hazlitt : « It is a bold thing to say and I would not say it in print—but it seems to me that if Wordsworth had though[t] a little deeper at that Moment he would not have written the Poem at all [… but] it is with the Critic as with the poet had Hazlitt thought a little deeper and been in a good temper he would never have spied an imaginary fault there ». Ce qui transparaît ici, comme ailleurs dans les lettres de Keats, est le projet d’un façonnement de soi « littéraire » qui s’exécute dans un espace épistolaire peu hasardeux. Par le biais de citations (souvent inexactes), d’intégration et de contestation des œuvres de ses pairs, le « poète caméléon » cherche, avec son ambivalence distinctive, à s’inscrire dans une tradition littéraire, tout en gardant une certaine distance.




François Gallix : « La correspondance de Graham Greene : transformations littéraires et révisions »

Graham Greene était un correspondant prodigieux. Il estima un jour écrire environ deux mille lettres par an. Certaines de ses lettres sont personnelles, d'autres formelles ; la plupart évoquent l’art de l’écriture, de la critique et du travail éditorial sur les textes. Il débat ainsi avec V. S. Pritchett et Elizabeth Bowen à propos des devoirs de l'écrivain ; conseille Mervyn Peake et R. K. Narayan, et corrige leurs œuvres ; promeut la carrière de Muriel Spark. On peut citer un exemple typique du doute que Greene entretient au sujet de sa propre écriture quand il envoie le manuscrit de La Fin d’une liaison à Edward Sackville West et lui demande son avis. Doit-il le publier ou l’oublier au fond d’un tiroir ? Sackville West répond qu’à dire vrai, il n’aime pas beaucoup le roman, mais que, comme les Victoriens qui n’hésitaient jamais à publier aussi bien le pire que le meilleur, il devrait tenter sa chance. Greene suit le conseil de son ami et se voit réconforté par les louanges de William Faulkner. Tout comme Charles Dickens, Greene attache énormément d’attention à la réaction des lecteurs et des critiques lors de la première publication de ses romans. Et quand ceux-ci sont réédités, il n’hésite pas à procéder à d’importants changements. Dans l'introduction à l’édition de 1974 de La Fin d'une liaison, il écrit ainsi : « Je me suis rendu compte trop tard que j'avais triché ; je m'étais trompé et j’avais trompé le lecteur... L’incident de la tache de vin ne devrait pas avoir sa place dans le roman ; chaque supposé miracle, comme la guérison du fils de Parkis, aurait dû avoir une explication entièrement naturelle. Aussi, dans cette édition, j'ai tenté de me rapprocher de mon intention première. La tache de vin de Smythe a laissé place à une maladie de peau dont l’origine pourrait être psychologique, et qui pourrait ainsi être guérie par la foi. »



Jean-Marc Hovasse : « Les premiers échanges épistolaires entre Auguste Vacquerie et Victor Hugo (1835-1839) »

Auguste Vacquerie (1819-1895) aura sans doute été le correspondant le plus important de Victor Hugo (1802-1885), sinon par la célébrité du moins par le nombre des lettres échangées. Il s’agira ici d’examiner dans leur dimension littéraire les quatre premières années de cette relation à travers leur correspondance croisée publiée collectivement en 1991 (Victor Hugo, Correspondance familiale et écrits intimes, édition établie sous la direction de Jean Gaudon, Sheila Gaudon et Bernard Leuilliot assistés d’Evelyn Blewer, Robert Laffont, t. II). Auguste Vacquerie, jeune pensionnaire fraîchement débarqué de sa Normandie natale, inonde littéralement Victor Hugo de poèmes et de lettres, commente son œuvre et se met à son service. Victor Hugo de son côté, malgré leur différence d’âge, l’encourage et le gratifie d’un certain nombre de confidences qu’il ne fait pas à d’autres correspondants. L’étude s’arrête à 1839 pour au moins trois raisons : à la veille de la publication du premier recueil d’Auguste Vacquerie (L’Enfer de l’esprit) et du dernier recueil de Victor Hugo avant l’exil (Les Rayons et les ombres), c’est l’année où, Léopoldine Hugo rencontrant Charles Vacquerie (le frère d’Auguste) les relations entre les deux écrivains vont changer de statut. Bien plus tard, en 1872, Auguste Vacquerie reviendra sur cette période importante dans un recueil poétique qu’il intitulera Mes Premières Années de Paris.



Ke Lingxiang: « La « transparence centrale » : théorie et pratique du style chez Virginia Woolf »

Cet article se concentrera sur le concept de « transparence centrale », le style d’écriture que Woolf dévoile dans trois lettres à Vita Sackville-West, Lettre 1622, Lettre 1687 et Lettre 1718. En s’appuyant à la fois sur ses essais et ses lettres à Vita, l’article développera la théorie du style de l’auteur. L’analyse des lettres à cette même destinataire permettra également de montrer comment Woolf pratique ce style d’écriture romanesque dans sa correspondance. Tout d’abord, en analysant les déclarations de Woolf sur le concept de « transparence centrale », l’article se déploie selon trois volets : la communication humaine, la lecture, et l’écriture. En mettant l’accent sur la « transparence centrale » dans l’écriture qui s’attache à la réflexion, la vision ou la description du monde naturel, l’article tentera de faire comprendre comment l’auteur élabore cette technique d’écriture à l’aide d’exemples tirés de ses lettres et de ses romans. Ensuite, en s’appuyant sur les essais de l’auteur, l’article tentera de cerner le terme, « transparence centrale » : que veut dire l’auteur par l’adjectif « centrale » ? Pourquoi définit-elle ces phrases ou paragraphes comme « transparence » ? En analysant des expressions telles que « a mould » et « the wave rising solitary » dans la Lettre 1718, l’article dévoilera également les fonctions de ce style. En d’autres termes, « transparence centrale » pourrait non seulement jouer le rôle de « a dash of white fire » et se faire porteur de la signification du roman ou de l’objectif de l’auteur, mais aussi fonctionner comme « the wave » qui est liée à l’apogée du rythme dans le roman. Enfin, l’objectif de l’article est de cerner la raison de l’emploi du terme « transparence centrale » par Woolf, le lien possible entre la fonction suggestive de « transparence centrale » et sa technique « impersonnelle ». En outre, l’article montre que le style de « transparence centrale » pourrait stimuler le potentiel créatif des lecteurs, nous laissant interpréter le texte nous-mêmes. Cette caractéristique pourrait donc doter le roman du pouvoir de changer lorsque le lecteur change.  

Hubert Malfray : « Un désir enflammé d’autor-ité ? Le mystère de la correspondance entre Dickens et Collins »
La correspondance entre Dickens et Collins autorise davantage que le privilège coupable de pénétrer dans l’intimité de ces deux amis de longue date : elle cache aussi une lutte entre mentor et disciple. C’est bien d’une lutte verbale dont il est question à travers l’écriture. Cette bataille semble avoir été initiée par Dickens lorsqu’il décida de brûler l’ensemble des lettres de Collins ; ainsi, de leurs échanges ne demeurent que ses propres lettres, seul prisme au travers duquel la correspondance nous parvient. Brûler ces lettres passe pour un vrai tour de force, trahissant le désir enflammé de Dickens pour une certaine autorité. La lettre n’est plus seulement la voix de l’intime : elle devient « rapport de places » (Siess et Hutin), ce medium (ou ce masque ?) à travers lequel Dickens essayait d’affirmer sa position, sa posture, dans l’univers littéraire. D’une lettre à l’autre, on le découvre métamorphosé, acteur d’une écriture où il troque des oripeaux identitaires variés, dissimulant son affectation derrière des marques d’affection. La lettre devient im-posture, quête artificielle d’une suprématie de soi, lieu d’enjeux et d’angoisse où le désir est palpable – désir de pouvoir, de singularité, de saisir au plus juste le telos de la création.



Sarga Moussa : « Voyager, lire, écrire: la littérature en gestation dans les lettres d’Egypte de Flaubert »

Parti en Orient avec Maxime Du Camp à la fin de l’année 1849, après avoir enterré, la mort dans l’âme, la première version de La Tentation de Saint Antoine, Flaubert n’a pas pour autant renoncé à écrire. À cet égard, on peut dire que sa correspondance d’Égypte, qu’il entretient principalement avec sa mère (magnifique lettre racontant sa rencontre avec le patriarche copte : « Toute ma vieille érudition de Saint Antoine est remontée à flot… », 5 janvier 1850) et avec son ami Louis Bouilhet (à qui il ne confie pas que ses exploits sexuels), est une façon détournée de renouer avec son rêve interrompu. Gustave Flaubert, en 1850, n’est pas encore « Flaubert » : il n’a encore rien publié, mais il sait déjà qu’il consacrera sa vie à la littérature. Bouilhet, lui non plus, n’a pas encore publié ses premiers vers, mais il rédige déjà Melænis, « conte romain » qu’il publiera en 1853 dans la Revue de Paris, et qui renvoie, ne serait-ce que par la forme (des sizains en alexandrin) au « conte oriental » Namouna (1836) de Musset. Si nous n’avons pas les lettres que Bouilhet envoie à Flaubert en Égypte, nous avons les réponses de celui-ci à son ami resté à Rouen, avec de nombreux commentaires concernant l’avancement de Melænis. À travers ces commentaires, parfois assez critiques, se devinent des choix esthétiques, par exemple la volonté de trouver le mot juste. Mais Bouilhet n’écoute pas toujours Flaubert, comme on peut s’en rendre compte en comparant la version publiée de son poème avec les passages critiqués dans la correspondance de Flaubert. Par ailleurs, si ce dernier n’a jamais publié de poèmes, on sait qu’il a lui-même envisagé d’écrire de la poésie orientaliste (voir sa lettre à Louise Colet du 27 mars 1853). Les lettres d’Égypte envoyées à Bouilhet sont donc aussi, pour Flaubert, une façon de parler de lui-même, de dire, par le truchement de celui qu’il considère parfois comme une sorte d’alter ego, ce qui le préoccupe en matière d’esthétique, sans d’ailleurs que la lecture des ébauches poétiques de Bouilhet soient un écran ou un obstacle à la nature expériencielle du voyage, tout au contraire (« ce vers-là ajoute au plaisir de mon bain », 15 janvier 1850). Voyager, pour Flaubert, c’est donc à la fois prendre un peu de distance face à un premier échec littéraire, et ne pas rompre le fil de l’écriture. Pour nous, lecteurs de cette correspondance viatique, c’est aussi prendre conscience que la parenthèse orientale (en particulier égyptienne, laquelle a produit le plus gros massif épistolier de ce voyage) a constitué un exceptionnel moment d’ouverture des possibles littéraires : écrire depuis l’ailleurs, ce n’est pas seulement donner au destinataire de ses lettres le plaisir de la différence, de l’exotisme, c’est aussi, dans le cas de Flaubert, accomplir un cheminement esthétique, un voyage à deux voix (ou plus) vers ce qu’il appelait déjà « l’Art ».


Jean-Pierre Naugrette: « De l’art délicat de la gaffe: à propos d’une phrase du Maître de Ballantrae de R.L. Stevenson commentée dans la correspondance entre Schwob et Stevenson »

En dépit de l’éloge que fait Henry James du roman de R.L. Stevenson, The Master of Ballantrae (Le Maître de Ballantrae, 1889) et de la définition qu’il donne de l’œuvre, dans une lettre à l’auteur du 21 mars 1890, comme « du pur cristal de roche, mon ami, une œuvre d’un art ineffable et raffiné », le roman suscita des réactions mitigées. Ce fut en partie dû au genre de l’œuvre elle-même, que les critiques eurent du mal à définir. Stevenson, lui-même, présentait son livre comme « un conte qui s’étend sur trop d’années et nous fait traverser trop de pays » (Dédicace à Sir Percy Florence et Lady Shelley, mai 1889), alors que, au cours de l’écriture du roman, il en parlait comme d’« une tragédie » (lettre à Henry James, mars 1888). Même si W.E. Henley, dans sa critique pour le Scots Observer (12 octobre 1889), écrivit que « l’œuvre dans son intégralité est un triomphe de l’imagination et de l’art littéraire », il trouvait les personnages peu attirants et l’intrigue « vilaine ». Il trouvait aussi à redire à ce qui était à ses yeux « une gaffe, pour le moins étrange, chez un écossais » : selon lui, Stevenson avait commis une erreur dans le titre même qu’il avait choisi, remarque qu’Adrian Poole conteste avec justesse dans son introduction à l’édition Penguin Classics de l’œuvre (1996). Stevenson était également conscient d’une « gaffe » plus sérieuse encore, qui portait cette fois sur une phrase écrite dans l’édition originale du texte chez Scribner’s. Après le célèbre duel fratricide entre les frères Duries, quand Mackellar et Mrs Henry arrivent sur les lieux et trouvent une épée posée sur le sol gelé, la réaction de cette dernière est décrite en ces termes : « Puis, dans un éclair de courage, [elle] l’empoigna une seconde fois, et l’enfonça jusqu’à la garde dans le sol gelé ». Cette incohérence frappante ou cette erreur, Stevenson la corrigea dans l’édition d’Edinbourg de 1894. Quand le critique, traducteur et romancier français Marcel Schwob émit le souhait de traduire le roman, Stevenson mentionna la phrase (lettre à Schwob, 3 janvier 1891) comme étant « l’une de mes surprenantes gaffes ». Dans son essai intitulé « Mon Premier Livre » (“My First Book”, 1893), à propos cette fois-ci de L’Ile au Trésor (Treasure Island), il se montre d’avis que le romancier se doit d’essayer d’éviter les « bourdes » les plus visibles. Notre but ici est de montrer que Stevenson a fait fausse route en prenant du recul et en effectuant ses corrections et qu’il aurait dû conserver la version originale, quoique fausse, de la phrase. En nous appuyant sur les lettres échangées entre Stevenson et Schwob qui traitent de l’art de la fiction, nous chercherons à montrer que le récit fictif, que Stevenson appelle « romance », ne doit pas se soucier des lois physiques de la nature et doit se préoccuper davantage du « pouvoir d’impression » dont Schwob lui-même faisait l’éloge dans l’œuvre de Stevenson.




Christine Planté : « La correspondance Gustave Flaubert-George Sand »

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Lacy Rumsey : « ‘Unless you want a very bumpy rhythm’: la prosodie dans la correspondance de poètes américains du vingtième siècle  »

Si les poètes ont toujours utilisé leurs lettres comme lieux d’exploration de conceptions nouvelles ou idiosyncrasiques du rythme, ou de la prosodie en général, cela s’est très souvent fait dans un esprit pédagogique ; on pense notamment, chez les poètes américains du 20e siècle, à un Ezra Pound en train de sermonner William Carlos Williams ou d’autres poètes, pour leurs diverses lacunes ou erreurs. Il est sans doute plus rare que les poètes engagent avec leurs pairs une véritable « correspondance croisée » sur cette question, en mettant en commun des idées et se donnant à lire des passages ou des vers, dans un esprit d’égalité plutôt que d’autorité. Cette communication se penchera sur les dialogues sur la prosodie dans lesquels se sont engagés, ou ont tenté de s’engager, plusieurs poètes, parmi lesquels Williams et Louis Zukofsky, Charles Olson et Robert Creeley, Robert Duncan et Denise Levertov, et Elizabeth Bishop et Robert Lowell. Elle décrira les idées et les ressources que ces poètes ont souhaité partager, et proposera une analyse des risques qu’ils ont accepté de prendre.



Laetitia Sansonetti : « La correspondence Harvey-Spenser: redéfinir la poésie dans l’Angleterre de la première modernité »

Nés tous deux en 1552, Gabriel Harvey et Edmund Spenser se rencontrent à Cambridge, le premier devenant le mentor du second. Lorsqu’ils publient des extraits de leur correspondance érudite sous le titre de Three Proper and Wittie Familiar Letters en 1580, Spenser vient de faire ses débuts d’auteur en s’inscrivant dans la tradition poétique pastorale (The Shepheardes Calendar, 1579) et Harvey est connu pour ses traités rhétoriques et ses poèmes de circonstance écrits en Latin. Ce recueil de lettres (agrémenté de poèmes de louanges) fait partie d’une stratégie commune de promotion mutuelle, mais révèle également des différences essentielles entre la théorie littéraire de Harvey et la pratique poétique de Spenser. L’enjeu de leur correspondance est de créer et définir une identité poétique anglaise au sein de la dialectique complexe d’imitation et d’invention caractéristique de la production littéraire renaissante. Mon intervention analysera trois aspects : les avantages d’une ars poetica écrite sous forme épistolaire ; la hiérarchie des genres littéraires ; la possibilité de créer une langue poétique spécifiquement anglaise. La forme épistolaire permet aux deux auteurs de faire référence à des personnages et événements contemporains et ainsi d’utiliser l’actualité de leur entreprise comme un argument de vente. Dans la discussion sur les genres, Spenser apparaît comme l’apprenti indiscipliné d’un mentor peu compétent : les critiques formulées par Harvey à partir des premières versions de ce qui allait devenir The Faerie Queene n’auront aucun impact sur la version publiée dix ans plus tard par « Immeritô », surnom de Spenser dans les lettres. Ce pseudonyme latin invite à s’intéresser à un autre sujet abordé dans la correspondance, à savoir le rôle du latin dans l’élaboration d’une langue poétique anglaise. Face à la métrique quantitative héritée des pratiques latines prônée par Harvey, la poésie de Spenser utilise l’allitération, procédé « saxon » ; de même, les archaïsmes anglais qu’affectionne Spenser s’opposent aux latinismes de Harvey.



Catherine Thomas-Ripault : « Un écrivain à la croisée des critiques: Ernest Feydeau correspondant de Sand, Sainte-Beuve et Flaubert »

Ernest Feydeau fut l’auteur, parmi de nombreux autres livres, de Fanny et de Daniel qui obtinrent les faveurs du public. Fortement attaqués par la critique, ces ouvrages qui firent scandale bénéficient pourtant des éloges enthousiastes d’un certain nombre de grands écrivains, parmi lesquels Sainte-Beuve, George Sand et Flaubert, avec lesquels Feydeau entretint une correspondance suivie. Nombreuses sont les lettres dans lesquelles ces auteurs commentent, parfois longuement, les ouvrages de Feydeau et lui prodiguent des conseils à partir des ébauches de romans qu’il leur envoie. Il est frappant de constater que dans ces échanges, c’est surtout de l’image de l’artiste dont il est finalement question : sa propre image que chaque écrivain tente de préciser, celle de son destinataire auquel il impose un rôle dans leur relation épistolaire mais aussi au sein du paysage littéraire de l’époque, ou celle d’un artiste idéal dont tous tentent de se rapprocher. Je propose ainsi de montrer comment les lettres des écrivains reconnus, qui se positionnent en tant que maîtres vis à vis d’Ernest Feydeau, forment de véritables arts poétiques où s’affirment leurs critères esthétiques en même temps que la revendication de leur originalité créatrice ; mais leurs lettres laissent également paraître leurs doutes sur la réalité de cette différence qu’ils entendent souligner, et sur la légitimité de leur discours critique. Quant aux lettres d’Ernest Feydeau, dont beaucoup sont inédites, elles témoignent de ses tentatives pour occuper un espace littéraire au sein duquel il ne s’estime pas justement apprécié. Entre propos louangeurs et résistance argumentée aux conseils qui lui sont prodigués ou aux étiquettes qu’on lui impose, entre usage stratégique de la notoriété de ses destinataires et élaboration d’un portrait de lui-même en adéquation avec le topos de l’écrivain intègre, souffrant et incompris, l’auteur use des différentes postures que lui propose son époque pour se voir reconnu comme un grand écrivain. Ainsi naît une sorte de conversation à quatre voix, faite d’échos et de dissonances, où chacun cherche sa place au contact de l’autre.




Benedetta Zaccarello : « Les ‘Lettres sur le Yoga’ d’Aurobindo Ghose »

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