Texte de cadrage

Les gens de lettres se risquent parfois à envoyer leurs manuscrits et travaux en cours à leurs amis écrivains, dans l’espoir de recevoir en retour un jugement qui saura valider leur démarche ou la faire évoluer. Les correspondances d’écrivains recèlent ainsi des trésors d’analyse littéraire lorsque le destinataire d’une œuvre ou d’un texte en cours d’élaboration les commente et les critique, encourageant par là même l’expéditeur à justifier et défendre ses choix, ou bien l’invitant à revoir sa copie. C’est ainsi souvent à travers leur correspondance que des écrivains ont pu développer leur esthétique. Des discussions épistolaires ont également lieu après la publication des œuvres, et certaines correspondances donnent à lire des échanges parfois virulents entre écrivains qui ne partagent pas la même conception artistique.

Le propos de ce colloque consiste à sonder ces correspondances où les écrivains commentent le travail et la démarche artistique de leur destinataire mais aussi explicitent certains aspects de leur propre œuvre. Il s’agira en particulier d’analyser les points de contact entre correspondance et critique littéraire, et de déterminer en quoi les écrivains jouent le rôle de premiers lecteurs critiques de leurs correspondants, permettent à la pensée de leur destinataire de s’affiner et accompagnent l’œuvre dans sa gestation et sa maturation. Le genre épistolaire se fait alors véritable laboratoire esthétique et lieu de débats, comme ont pu le montrer les actes du colloque de Brest en 2001, rassemblés par Pierre-Jean Dufief sous le titre Lettre et Critique (Publications du Centre d’Étude des Correspondances et Journaux Intimes des XIXème et XXème siècles). On songe en particulier à la correspondance très riche de Gustave Flaubert avec Yvan Tourguéniev, George Sand, Louis Bouilhet, Louise Colet, Maxime Du Camp ou Alfred Le Poittevin, mais aussi, pour ne citer qu’un seul exemple parmi tant d’autres, celle entre Eudora Welty et William Maxwell, publiée dans What There Is to Say We Have Said (2011). Il est peut-être plus courant encore pour les poètes de soumettre le fruit de leur production au regard acéré de leurs pairs (dans le domaine anglo-saxon, on pense à Elizabeth Bishop et Robert Lowell, W. B. Yeats et Dorothy Wellesley, William Carlos Williams et Louis Zukofsky, Ezra Pound et E. E. Cummings; mais on songe aussi aux poètes français tels Gérard de Nerval et Théophile Gautier, et bien d’autres évoqués dans Correspondance et poésie, recueil coordonné par Jean-Marc Hovasse en 2011).

L’objectif de cette manifestation est d’opérer une sélection stricte dans les correspondances d’écrivains pour se concentrer sur les passages épistolaires qui traitent de la création artistique de chaque auteur dans l’instant où elle se déploie ou immédiatement après la publication. Dans ces pages, un dialogue fructueux s’instaure entre l’écrivain et son lecteur-écrivain, qui pousse chacun d’entre eux à dessiner plus clairement sa position esthétique. Dès lors, les débats épistolaires sur des textes précis débouchent parfois sur la formulation d’un véritable ars poetica (notons d’ailleurs que L’Art poétique ou Épître aux Pisons d’Horace est à l’origine une lettre en vers adressée à la famille des Pisons). Certains participants se livreront à un travail génétique : en comparant le premier brouillon d’un texte à sa version remaniée, ils évalueront quels commentaires des pairs ont été pris en considération et lesquels ont été ignorés. Il s’agira également de se pencher sur les cas de fertilisation croisée, quand la lecture et la critique d’un manuscrit par un écrivain influent sur sa propre production.

Le colloque permettra en outre de s’interroger sur le statut générique de ces correspondances littéraires où l’objet d’étude parfaitement ciblé est la création elle-même. Loin de la dimension autobiographique ou anecdotique dont l’exercice épistolaire participe le plus souvent, il s’agira de s’intéresser à la composante critique de ces échanges d’ordre privé. Il est ici question d’un genre bien particulier de critique littéraire : non point celle d’un simple exégète externe mais celle d’un écrivain, connu de l’auteur. En outre, il ne s’agit pas d’une critique destinée à être publiée et qui aurait, par conséquent, été travaillée finement, mais d’une critique plus spontanée, qui, dans certains cas, est peut-être plus franche et directe, sans tabou ni censure (même si les sentiments amicaux, voire amoureux, entre épistoliers poussent certains à nuancer leurs propos). On peut se demander alors quel statut accorder à cette critique littéraire précoce et privée, que l’on pourra comparer aux critiques publiques publiées plus tard par ces mêmes écrivains commentant ces mêmes œuvres. On peut constater que de tels échanges diffèrent grandement de correspondances plus artificielles, mises en œuvre dès l’origine avec une intention délibérée de publication, telles celle entre Paul Auster et J.M. Coetzee, Here and Now: Letters 2008-2011 (2013), ou la correspondance électronique entre deux hommes de lettres, Frederic Raphael et Joseph Epstein, qui ne se connaissaient pas auparavant, Distant Intimacy: A Friendship in the Age of the Internet (2013).

Les correspondances entre écrivains qui seront analysées consisteront en des volumes publiés et en des lettres inédites consultées dans des archives. Dans la majeure partie des cas, l’étude portera sur les deux côtés de la correspondance ce qui permettra de se pencher sur le dialogue entre les deux écrivains. Les contributeurs considèreront ainsi principalement les échanges épistolaires portant sur l’œuvre des deux écrivains retenus, plutôt que sur les ouvrages d’autres écrivains ou la littérature en général.

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